Un poème de Jean Tardieu : Épithètes (uaa 5 / uaa 6)

UAA5 : complète les vers suivants de Jean Tardieu par un adjectif (sauf au vers 8 : complète par une préposition suivie d’un nom commun)

Épithètes

Une source — …

Un secret — …

Une absence — …

Une éternité — …

Des ténèbres — …

Des tonnerres — …

Des flammes — …

La neige — ……

La bouche…

Les dents…

La parole…

… .

Épithètes

Une source — corrompue

Un secret — divulgué

Une absence — pesante

Une éternité — passagère

Des ténèbres — fidèles

Des tonnerres — captifs

Des flammes — immobiles

La neige — en cendre

La bouche fermée

Les dents serrées

La parole niée

muette

bourdonnante

glorieuse

engloutie.

Formeries, Jean Tardieu, Gallimard, 1976

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UAA6 : observations en vrac

Toute analyse et relation de la rencontre d’une œuvre d’art commence par une observation approfondie.

 

  • Le poème est structuré par une construction syntaxique régulière : déterminant + nom commun (ou substantif) + tiret + adjectif (fonction : épithète détachée)
  • Une première rupture syntaxique au vers 8 qui est précisément le vers central de la série de 15 vers : déterminant + nom commun + tiret + préposition + nom commun
  • À partir du vers 9, la structure initiale reprend, mais avec une légère variation : le tiret disparaît et l’adjectif cesse d’être épithète détachée pour devenir une épithète
  • Dernière rupture, concluante cette fois, le 11ème nom commun est suivi d’une série de cinq adjectifs épithètes.
  • Les séries, dans ce poème, sont quasi toutes impaires : 15 vers, 11 noms communs, 5 adjectifs dans l’énumération finale. L’intérêt d’une série impaire est qu’elle comporte un élément central : le 8ème vers (et même, plus précisément, le tiret), le substantif « tonnerres », l’adjectif « bourdonnante » dans l’énumération finale.
  • La fin du texte peut être considérée comme menant au sujet du texte : la parole. Le texte en son ensemble est une parole, le produit d’une parole. On sait que la poésie est un genre littéraire qui non seulement se lit, mais aussi se dit par la bouche et tout ce qu’elle contient (les dents, mais aussi la langue, le palais…).
  • Des ressemblances peuvent être ou observées ou appliquées arbitrairement par l’esprit du lecteur : la bouche est source, source de parole. Mais aussi des oppositions, éventuellement apparentes : comment une éternité peut-elle être passagère ? une absence ne pèse rien, etc.
  • Un type d’organisation symétrique intéressante est le chiasme où les éléments correspondent ensemble de façon inversée : ABCBA. On peut trouver un chiasme dans l’énumération finale : niée correspond à engloutie par ressemblance ; muette correspond à glorieuse par une apparente opposition (mais il est toujours possible de dépasser une opposition : il peut être glorieux de se taire).
  • Qu’ajouterez-vous comme observations ?…

Observations d’élèves (septembre 2021)

  1. La neige en cendre : des flocons qui tombent, qui peuvent faire penser à des cendres (tomber en cendre).
  2. Une source – corrompue : on pourrait croire que c’est la source, le petit court d’eau avant la rivière. Or, avec le mot « corrompue » à côté, on peut penser que c’est une personne qui a été corrompue alors qu’elle savait quelque chose d’important.
  3. Une absence pesante : une absence qui est longue et qui pèse sur le mental.
  4. Si l’on enlève les quatre premiers adjectifs et que l’on regarde la première lettre de chaque vers, on constate qu’elles forment un ordre précis qui est quatre « U » suivi de trois « D », eux-mêmes suivi de quatre « L ». Cela fait penser à un classement.
  5. Il y a des tirets dans le poème pour laisser une pause.
  6. J’observe que, dans le poème, il y a des tirets, sauf dans les derniers. Interprétaion : c’est pour marquer une pause et mettre en évidence.
  7. Des flammes immobiles : cela pourrait laisser penser à un être brûlant de l’intérieur dans le cas où les flammes sont immobiles car elles ne partent pas de lui, ne diminuent pas et n’augmentent pas. Juste, elles sont là et restent là sans changer.
  8. Un secret divulgué n’est plus un secret. Une trahison.
  9. Ténèbres fidèles : nos démons nous suivent.
  10. Les dents serrées : l’énervement d’être nié, non-écouté, oublié.
  11. Les dents serrées : quand on a les dents serrées, on ne peut pas parler ni manger.
  12. À partir du vers 7, ils sont tous reliés entre eux avec le sens. Quand la bouche est fermée, les dents sont serrées, donc la parole est niée. Si la parole est niée, alors elle est aussi muette. Si les dents sont serrées, la parole est donc un bourdonnement. Le silence(qui se rapporte à « muette ») peut aussi être vu comme une bonne chose, donc il est glorieux? Et quand la bouche est fermée et que la parole est niée ou muette, la parole ne peut qu’être engloutie.
  13. Un adjectif sur deux est positif, tandis que l’autre est négatif. Le nom placé avant est plutôt opposé par rapport à l’adjectif qui le qualifie. C’est-à-dire que les vers sont très imagés.
  14. Le poème est assez triste.
  15. Les quatre premiers vers sont au singuliers et les trois suivants sont au pluriel, les deux suivants sont singuliers.
  16. Le poème a une tendance à parler du malheur (pesante, corrompue, en cendre). Peut-être que l’auteur n’était pas très bien pendant qu’il écrivait ce poème.
  17. Il n’y a que des noms communs et des adjectifs. Pour moi, ça donne un peu plus de « mystère » et d’imagination et point de vue personnel puisqu’il ne développe pas avec des verbes, etc…
  18. Le poète dit que la neige est en cendre en rapport au vers d’au-dessus : des flammes. Pour moi, son sens est que les flammes sont plus fortes que la neige. Que le mal est plus fort que le bonheur. Et qu’il est si fort qu’il réduit la joie en cendre.
  19. Qu’avec des simples mots, de la vie… Mis ensemble, cela forme un poème réfléchi.
  20. J’observe que les mots utilisés sont très bien choisis et ont du sens. À mes yeux, ça représentent un besoin de se libérer en parlant qui fera mal, mais qui nous fera du bien personnellement.
  21. Tous les mots veulent dire quelque chose de profond (ambiance noire et triste).
  22. Le poème parle d’un secret dévoilé, d’une trahison. On ressent de la tristesse (absence pesante), du stress (dents serrées) et du calme en même temps.
  23. La neige – en cendre. Les cendres sont le résultat de quelque chose qui a brûlé tandis que la neige est le résultat de quelque chose de froid, en l’occurrence de l’eau. Ce sont deux choses opposées.
  24. Trois vers liés : si la bouche est fermée, généralement les dents sont serrées. Si la bouche est fermée, la parole est niée : on ne peut pas parler lorsque la bouche est fermée.
  25. Trahison d’une personne qui a divulgué le secret d’une autre qui, à cause de cela, a sombré (tristesse, haine, peut-être la dépression). Observation : la plupart des adjectifs sont négatifs ou font ressentir quelque chose de différent.
  26. Le texte est bien écrit avec des mots assez philosophiques.
  27. Le texte est plutôt triste avec les termes « absence pesante ; parole niée, source corrompue ». Je pense que le texte décrit un sentiment/situation de tristesse comme la perte de quelqu’un par le terme « éternité passagère » qui veut dire que nous allons tous mourir un jour et rejoindre la personne perdue.
  28. Le texte porte sur une trahison et par la suite du regret. Peut-être un policier qui a été corrompu, a trahi son équipe, mais le regrette car il sait qu’il a mauvaise conscience.

Langue

« épithète » est un mot composé de deux racines grecques : epi = à côté de ; thète = action de poser, de placer.

« adjectif» est un mot composé de deux racines latines : ad = à côté de ; jectus = jeté

« qualificatif » : qui exprime une qualité (au sens neutre de caractéristique, aussi bien positive que négative)

« substantif » a la même racine latine que « substance » : sub = sous ; stare = se tenir. La substance de quelque chose, c’est ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est, indépendamment de ses caractéristiques non essentielles. Un humain est un humain qu’il soit brun ou blond.

« formerie » (titre du recueil de Tardieu d’où est tiré ce texte est un néologisme (néo : nouveau ; logos : mot). Une élève a proposé comme signification : « usine à formes ». L’art consiste en effet à utiliser une matière (le poète utilise une langue) et à lui une forme plaisante (et qui donne à penser, imaginer, ressentir…). Un poème est une forme obtenue par un travail sur une langue

Jean Tardieu s’explique ainsi à propos du titre Formerie qu’il a donné ce recueil  :

« … Ce pluriel est inventé, mais le mot au singulier existe. C’est le nom d’un village sur les « hauts » de l’Oise normande. Les traits principaux de ce pays sont (comme certaines des pages qui suivent) la nudité des lignes et la rigueur du climat : tout ce qu’il faut pour chercher quelque chose qui soit en même temps ici et ailleurs… »

Autrement dit : un paysage nu, minimaliste, constitué de droites, paysage qui de plus est marqué par un climat rigoureux. Pour Tardieu, pareil paysage est propice à la recherche de quelque chose qui soit « ailleurs » (tout en étant ici).

Un peu comme ce type d’images auxquelles on accole, sur les réseaux sociaux, le hashtag « liminalspace » parce qu’elles semblent « inviter » le spectateur à passer par elle pour accéder à un autre monde, une autre dimension…

Lux in tenebris, Pierre-Yves Dallenogare. Tous droits réservés

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Prolongement (UAA0)

Donne trois conseils à quelqu’un qui voudrait écrire une œuvre littéraire.

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