L. B., élève de Rhéto, propose la réflexion intelligente suivante à propos des rideaux de la classe : « Les rideaux ne sont pas réellement tricotés. »
De loin, ils paraissent en effet présenter un relief, mais de près, apparaît une illusion d’optique : un motif est en réalité imprimé à plat sur le tissu et non « tricoté », « brodé »…
À moins, signale le professeur, que soit utilisée une technique de tricot/tissage/broderie qui imite parfaitement l’impression plate d’un motif.
René Descartes : de quoi pouvons-nous être certains ?
Cette observation et cette réflexion peuvent nous renvoyer au Discours de la méthode (1637) et aux Méditations métaphysiques (1641), deux ouvrages du philosophe et mathématicien français René Descartes (1596-1650), connu pour une phrase devenue célèbre : cogito ergo sum, je pense donc je suis (en réalité le « ergo« , le « donc« , n’apparaît pas dans la première version écrite de la phrase).
Descartes se pose la question de fond suivante : de quoi puis-je/pouvons-nous être certain/s ?
Son objectif est de fonder les sciences sur des bases solides – en particulier des bases mathématiques.
Rien n’est certain ?
Dans un premier temps, Descartes démontre que nous devons douter de tout :
- Nos sens peuvent être illusionnés (voir l’exemple donné au début de cet article).
- Même l’existence du monde dans lequel nous croyons vivre, avec les humains et humaines que nous côtoyons, peut être une illusion si nous sommes en train de « rêver » tout cela.
- Quant aux vérités mathématiques (par exemple : la surface d’un carré s’obtient par la multiplication de deux de ses côtés), elles emblent valides autant dans le vrai monde que dans celui du rêve, mais elles peuvent en réalité être fausses si mon existence est due non au « bon » Dieu dont j’entends parler autour de moi, mais à un « mauvais génie » qui me trompe en me faisant croire en des vérités mathématiques qui sont en réalité fausses.
Bref Descartes, par la seule logique, met en doute toute certitude !
Une seule certitude : cogito, sum, je pense, je suis
Pourtant, une chose est certaine : même si, au-dessus (ou en dessous) de moi, me manipule un mauvais génie souverain et rompeur, il faut que j’existe et que je pense pour qu’il puisse me tromper.
Et donc la seule certitude qui est à ma portée, est que je suis en train de penser et d’exister.
« Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. »
Méditations Métaphysiques, 1641
Donner un garant aux certitudes mathématiques : démontrer l’inexistence d’un « mauvais génie trompeur » et donc prouver Dieu
Pour fonder les certitudes rationnelles mathématiques, Descartes devra ensuite écarter l’objection du mauvais génie trompeur.
Démontrer « l’existence » de Dieu, comme absolu parfait et souverain, implique que ne peut exister contre lui un souverain mauvais génie qui me tromperait.
Descartes, pour prouver Dieu, utilise les voies classiques qui étaient proposées par les théologiens du moyen âge, mais ajoute une « preuve » de son crû, l’existence de l’idée de perfection et d’infini dans notre esprit alors que nous sommes finis et imparfaits :
« Il faut nécessairement conclure que Dieu existe ; car je n’aurais pas l’idée d’une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n’avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie. Et je ne me dois pas imaginer que je ne conçois pas l’infini par une véritable idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les ténèbres par la négation du mouvement et de la lumière : puisqu’au contraire je vois manifestement qu’il se rencontre plus de réalité dans la substance infinie que dans la substance finie, et partant que j’ai en quelque façon premièrement en moi la notion de l’infini, que du fini, c’est-à-dire de Dieu, que de moi-même. Car comment serait-il possible que je pusse connaître que je doute et que je désire, c’est-à-dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n’avais en moi aucune idée d’un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les défauts de ma nature ? »
Méditations Métaphysiques, 1641
Agir quand rien n’est sûr : la morale provisoire de René Descartes
Dans son cheminement, pendant la phase de doute , René Descartes doit continuer à vivre. Mais comment vivre et agir quand on n’est plus sûr de rien ? Le philosophe propose alors, dans le Discours de la méthode, une morale provisoire (« morale par provision ») fondée sur quelques idées :
- « La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre. »
- « Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées : imitant en ceci les voyageurs, qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant tantôt d’un côté tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n’ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir; car, par ce moyen, s’ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt. »
- « Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde, et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. »
- « Enfin, pour conclusion de cette morale, je m’avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu’ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là (l’occupation) même où je me trouvais, c’est-à-dire que d’employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m’avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m’étais prescrite. »
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