« Vous ne verrez pas son visage, car il n’aime pas qu’on lui fasse ce qu’il fait aux autres. Il a fallu ruser avec lui pour surprendre son image et sa pensée », annonce en préambule une voix off. Pour saisir Henri Cartier-Bresson à l’œuvre, il sera aussi question « d’instant décisif ». En 1962, la caméra de Roger Kahane traque le photographe au milieu d’un marché parisien. Sa longue et élégante silhouette se glisse nonchalamment au milieu des étales, observe, furète. Jusqu’au moment où, l’espace d’une seconde, il dégaine d’un geste sûr son petit Leica 50 mm, et appuie. « Pour moi la grande jouissance est d’avoir un sujet, hop qui s’impose à moi, et d’avoir à appuyer au bon moment » Le bon moment ? « Un lien entre le sujet qu’on sent intuitivement et une composition rigoureuse, une géométrie qui vous surprend. Et ça c’est une fraction de seconde, c’est le seul moment de création. »
Le documentaire « Henri Cartier-Bresson : L’Aventure moderne » – disponible sur Youtube en trois parties – donne à comprendre tout l’art de celui que l’on surnomme « l’œil du siècle », en l’observant mais aussi à travers de longs entretiens. Si le visage du photographe se dérobe, c’est avec clarté et générosité qu’il livre sa conception de la photographie, intuitive et respectueuse de la réalité, car c’est elle, dit-il « qui a le dernier mot ». Avant d’ajouter : « Il faut s’oublier soi-même, laisser le sujet vous imprégner. » Face à des interlocuteurs suspendus à ses lèvres, l’artiste célèbre la « joie visuelle » semblable à celle du peintre, partage sa passion pour la géométrie, son admiration pour Paolo Uccello ou encore son rejet de la photographie abstraite, qu’il juge « désincarnée ». Illustré par de nombreux clichés, le film revient également sur son expérience de photoreporter en Chine ou en Inde, sur les grands événements dont il fut un témoin privilégié ou sur l’art du portrait qu’il compare à une mise-à-nu, aussi intéressante que gênante.