S.A. nous avait proposé un décasyllabe très réussi pour conclure Secret de Pierre Reverdy (cliquez ici) :
Et se referme soudain dans la nuit
Il respecte la règle classique qui consiste à placer la césure (coupure) principale après la quatrième syllabe : cela donne un vers coupé en deux groupes rythmiques qui avancent en s’amplifiant (le premier de quatre syllabes, le second de six syllabes).
Une pause secondaire intervient au milieu du deuxième groupe rythmique. Chaque césure et pause suit une syllabe accentuée (en gras) :
Et se refer// me soudain / dans la nuit //
1-2-3-4 //1-2-3 / 1-2-3 ///
Ce mètre (un « mètre » est une longueur de vers en poésie) était fréquent au Moyen-Age. François Villon l’a régulièrement utilisé. Par exemple dans sa célèbre Ballade des Pendus :
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Quand on place césures et pauses dans la première strophe et pour l’un ou l’autre vers, on voit bien comment le poète à la fois joue de la régularité de la césure à la quatrième syllabe et des variations de la place des pauses secondaires (sont mis entre () les quelques « e » laissés muets). Cela donne un rythme exceptionnel à ce chef-d’œuvre :
Frères humains, // qui après nous / vivez, //
1-2-3-4 // 1-2-3-4 / 1-2 //
N’ayez les cœurs // contre nous / endurcis, //
1-2-3-4 //1-2-3 / 1-2-3 ///
Car, / si pitié // de nous pau / vres avez, //
1 /1-2-3 // 1-2-3 / 1-2-3 //
Dieu / en aura // plus tôt de vous / mercis. //
1 /1-2-3 // 1-2-3-4 / 1-2 //
Vous nous voyez // ci attachés, // cinq, / six : //
1-2-3-4// 1-2-3-4 / 1 / 1 //
Quant à la chair, // que trop / avons nourrie, //
1-2-3-4 // 1-2 / 1-2-3-4 //
Elle est piéça // dévorée / et pourrie, //
1-2-3-4 //1-2-3 / 1-2-3 ///
Et nous, / les os, // devenons cen / dr(e) et poudr(e). //
1-2 / 1-2 // 1-2-3-4 / 1-2 //
De notre mal // perso / nne ne s’en rie ; //
1-2-3-4 // 1-2 / 1-2-3-4 //
Mais priez Dieu // que tous / nous veuille absoudr(e) ! //
1-2-3-4 // 1-2 / 1-2-3-4 //
(…)
Puis çà, / puis là, // comme le vent / varie, //
1-2 / 1-2 // 1-2-3-4 / 1-2 //
A son plaisir // sans cesser // nous charrie, //
1-2-3-4 //1-2-3 / 1-2-3 ///
(…)
Ho/mmes, ici // n’a point // de moquerie ; //
1 / 1-2-3 // 1-2 / 1-2-3-4 //
William Cliff, un poète belge contemporain, emploie aussi parfois ce mètre. Il n’en respecte pas systématiquement la règle principale (césure à la quatrième syllabe) :
à mon baptême le signe de croix
fut dessiné sur mon front par un prêtre
et à ma mort il tracera je crois
ce même signe sur la forme blême
de mon corps mort étendu dans la plaine
boueuse qui me mangera enfant
je servais la messe et priais souvent
le Bon Dieu d’écouter mes pauvres phrases
car je croyais qu’une oreille de vent
dans le ciel arrêtait son grand voyage
à mon baptê // me le si / gne de croix // (4 // 6)
fut dessiné // sur mon front / par un prêtr(e)// (4//6)
et à ma mort // il tracera / je crois // (4 // 6)
ce même si // gne sur la for / me blêm(e) // (4 // 6)
de mon corps mort // étendu / dans la plain(e) // (4 // 6)
boueu // se qui me mangera // enfant // (!! 2 // 6 //2 !! )
je servais la me // sse et priais / souvent // (!! 5 // 5 !!)
le Bon Dieu // d’écouter / / mes pau / vres phras(es) // (!! 3 // 3 // 4 !!)
car je croyais // qu’une orei / lle de vent // (4 // 6)
dans le ciel / arrêtait // son grand voyag(e) // (!! 6 // 4 !!)
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