Versification classique : quelques règles du décasyllabe et de l’alexandrin

Gustave Courbet, Portrait de Charles Baudelaire (1848)

Comment compter le nombre de syllabes d’un vers ?

Diérèse et synérèse

« Lion », « opiniâtrement »…

Ces mots où deux voyelles se suivent peuvent se prononcer en une (synérèse) ou deux syllabes (diérèse)  : lion ou li-on ; opiniâtrement ou opini-âtrement.

Il faut, en poésie, choisir en fonction du nombre de syllabes auquel il faut aboutir. Par exemple, tous les vers de ce poème de Baudelaire sont des alexandrins, il faut donc faire la diérèse :

Des cloches tout à coup sautent avec furi(e)
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patri(e)
Qui se mettent à geindr(e) opini-âtrement.

Charles Baudelaire, Spleen (Les Fleurs du Mal)

Le statut du « e »

La principale difficulté est le statut du « e » : muet dans le langage courant, mais légèrement prononcé en poésie.

Exemple « Mon petit frère va à Lyon.« 

Dans le langage courant, nous prononçons « mon p’tit frèr’ va à Lyon » (6 ou 7 syllabes selon que je prononce Lyon ou Ly-on)

En poésie, les deux « e » se prononcent légèrement :

Mon – pe- tit – frè -re -va- à-Lyon (= huit syllabes)
Mon – pe- tit – frè -re -va- à-Ly-on (= neuf syllabes)

Règle :

En poésie classique le « e » se prononce légèrement (ce sont les « e » soulignés ci-dessous) sauf (ce sont les « e » mis entre parenthèses) :

    • en fin de vers
    • à l’intérieur d’un vers lorsqu’il est directement suivi par une voyelle ou un H muet

Ainsi que des esprits errants et sans patri(e)
Qui se mettent à geindr(e) opini-âtrement.

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musiqu(e),
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleur(e), et l’Angoiss(e) atroce, despotiqu(e),
Sur mon crân(e) incliné plante son drapeau noir.

Place des césures et coupes de l’alexandrin (12 syllabes)

L’alexandrin classique doit être coupé en deux parties égales. Deux césures principales : après les sixièmes et la douzièmes syllabes.

S’ajoute, sans place imposée, une coupe supplémentaire dans chaque demi-vers (appelés « hémistiches »).

Césure et coupes ne peuvent suivre un « e » légèrement prononcé.

De quel droit / mettez-vous // des oiseaux  / dans des cag(es) ? //
De quel droit /  ôtez-vous // ces chanteurs / aux bocag(es), //
Aux sour / ces, à l’auror(e), // à la nuée, / aux vents ?
De quel droit / volez-vous // la vie / à ces vivants ? //

Victor Hugo, Liberté

À noter que les deux premiers vers sont parfaitement réguliers : une coupure toutes les trois syllabes. On parle alors d’un « alexandrin parfait ».

Place des césures et coupes du décasyllabe (10 syllabes)

Le décasyllabe classique doit être coupé en deux parties inégales. Deux césures principales : après les quatrièmes et dixièmes syllabes.

Peuvent s’ajouter, sans place imposée, des coupes supplémentaires dans chaque parties.

il fut un temps  // où l’homm(e) / avait l’espoir //
d’un beau royau // me rempli / de lumièr(e) //

William Cliff, Journal d’un Innocent

Une note du cours plus approfondie sur le décasyllabe (classique et non classique).

Interdiction du hiatus

La succession immédiate de deux voyelles est interdite par les poètes classiques. 

« Mon petit frère va à Lyon » est à proscrire…

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