La Une du journal français L’Équipe, au lendemain de la deuxième défaite consécutive de l’équipe nationale belge de football face à l’équipe de France championne du monde, a fait particulièrement réagir en Belgique :
Elle a, chez beaucoup, mis et touillé le doigt dans la plaie saignante de la déception, de la tristesse, de la colère, de l’autodévalorisation, du désir de vengeance… ce que le philosophe allemand Nietzsche appelle le ressentiment… ce que d’autres nomment le seum…
Des « passions tristes » aurait dit Baruch Spinoza, un philosophe hollandais du 17ème siècle.
Qu’est-ce que le seum ? le ressentiment ? L’expression « avoir le seum » est une expression argotique dans le langage des jeunes de banlieue. Elle pourrait se traduire par « avoir la haine » dans un contexte de frustration, de déception… avoir la haine contre celui qui a provoqué cette frustration. Cette haine de l’autre se mélange de tristesse et de haine de soi, d’autodévalorisation, avec un sentiment d’injustice, de « vie mal faite ».
Le mot « seum » est la reprise d’un mot arabe سم, sm qui signifie « venin »).
Le seum, le ressentiment, est en effet bien un venin intérieur, mélange de haine de soi et de haine de l’autre :
- son venin nous détruit intérieurement : il détruit notre joie d’exister, notre confiance en nous-mêmes, notre confiance en la vie (le seum, le ressentiment, c’est de la « haine de soi »)
- son venin nous pousse à vouloir détruire l’autre parce que nous le jugeons injustement favorisé : il détruit notre aptitude à la relation gratuite, fraternelle, avec autrui (le seum, le ressentiment, c’est de la « haine de l’autre »)
Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) : le seum contre la volonté de puissance
La lecture philosophique que Nietzsche fait du réel et de l’existence pourrait se synthétiser ainsi :
- Le réel, l’existence, est tragique : tissé de souffrance, d’injustice, de négativité (Nietzche dénonce toutes les échappatoires vers lesquelles tend l’homme pour se voiler la face à ce sujet, pour nier le réel, pour le remplacer par un double imaginaire de la réalité – une de ces échappatoires, pour Nietzsche, est la religion qui amène l’homme à croire à un arrière-monde illusoire (le paradis, l’au-delà…)
- Dans ce réel tragique, l’homme est appelé à laisser se développer joyeusement sa volonté de puissance. Nietzsche ne parle pas là d’une volonté orgueilleuse de domination d’autrui ou de domination du monde, de la nature. La puissance dont il est ici question, c’est ce que nous sommes potentiellement et que nous gagnons toujours à laisser se développer joyeusement, dans le tragique de l’existence. Loin d’être un obstacle au développement de ses potentialités, l’existence tragique, le réel tragique, permettent le développement de nos potentialités qui ont besoin d’obstacles pour se réaliser.
« La vie est, à mes yeux, instinct de croissance, de durée, d’accumulation de force, de puissance : là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin. » (Nietzche)
Pour Nietzche, le seum, le ressentiment, empêche cette volonté de puissance de se réaliser. Il réduit à rien, il est nihiliste (nihil, en latin = rien, néant). Sa tristesse est toxique. Il est maladif et empêche « la grande santé » (cliquez pour une note du blog de mon cours de religion à ce sujet). Il faut laisser notre volonté de puissance nous libérer du seum.
Les Unes de la presse belge du 8 octobre
La Une de la Nouvelle Gazette est fataliste :
Michy Batshuayi regarde dépité vers le ciel, vers ce maudit destin qui a condamné la Belgique à la défaite contre ces maudits Français… Et s’il y a malédiction, nous ne pouvons que nous préparer à la prochaine défaite, en Coupe du Monde dans un an et demi… Jamais deux sans trois.
Paradoxalement, cette vision fataliste peut être vue comme une forme d’échappatoire au seum. C’est le destin, nous n’avons rien à espérer, nous pouvons nous rappeler la leçon de sagesse des philosophes stoïciens de l’antiquité (l’antiquité a un regard tragique sur l’existence – voir une note du blog de mon cours de religion à ce sujet). Ce que tu ne peux changer, accepte-le et change ta manière de le vivre en éteignant ou en laissant s’éteindre tes pensées négatives… Ataraxie (absence de troubles intérieurs, paix de l’âme)…
La Libre Belgique relance le Triangle de Karpman et la joue « victime » :
Le triangle de Karpman est un jeu de communication qui permet de se donner une valeur en se posant soit comme victime d’un bourreau soit comme sauveur s’affrontant à un bourreau pour défendre une victime. C’est aussi une forme d’échappatoire au seum :
L’humour d’autodérision ludique de la Une du Soir, avec sa référence subliminale à l’Oreille Cassée d’Hergé, n’est-il pas une meilleure attitude ? L’humour d’autodérision (typiquement belge, dit-on) est en effet d’abord l’expression de la Joie quand se déploie une volonté de Puissance dans un contexte tragique :
Dans L’oreille cassée, Tintin affronte des malfrats sud-américains qui ratent systématiquement leurs mauvais coups et répètent, avec seum et dépit, « Caramba, encore raté ». Leur perroquet, ironiquement, le leur répète indéfiniment… mais, bien évidemment, même quand les sacripants tentent de tuer le perroquet, ils… ratent encore caramba !
La vraie raison de la défaite de l’équipe belge contre l’équipe de France en demi-finale de la Nation League…
Si l’on réfléchit tactiquement et stratégiquement, cette défaite est évidemment voulue tactiquement par Martinez… Le but est de gagner la coupe du monde dans 18 mois… donc de battre alors la France si nous la retrouvons (par exemple en finale)… Comme la France est une équipe très forte, tout ce qui pourra alors provoquer chez elle un excès de confiance facilitera la victoire belge… Et donc laisser la France gagner cette demi-finale d’une compétition de moindre importance, après une première victoire en demi-finale de la coupe du monde 2018, a pour but tactique de provoquer un excès de confiance fatal lors de la prochaine rencontre…
On sort de son seum comme on peut… ici par une forme de dissonance cognitive rationalisante… 🙂
La Bible l’annonçait…
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