L’exercice Si Dieu était… et la planche de Daniel Goossens nous font prendre conscience qu’il est plusieurs manières d’approcher la question de Dieu.
Approche esthétique ou approche moralisatrice ?
Thomas est-il bête ? Aux yeux du professeur, il l’est… parce qu’il aborde la question de Dieu en esthète (du grec aisthesis : perception) par sa sensibilité. Il le perçoit « rouge »… et pourquoi pas finalement ?… Pourquoi ? qu’a-t-il derrière la tête ?… nous ne le saurons jamais : le professeur l’a immédiatement interrompu pour placer sa parole à la place de la parole de Thomas.
Ce professeur passe, lui, bien vite (trop vite !) de Dieu à la morale (c’est très fréquent) faisant de Dieu une « valeur » à imposer à autrui (la « bonté », « l’humilité »)… Et donc il tombe vite dans une forme de bêtise moralisatrice autosatisfaite. Son Dieu est d’ailleurs construit à son image : « bon » et « qui décide » pour autrui (le professeur finit par mettre au coin Thomas « pour son bien »). Et comme souvent, lorsqu’il est confronté à quelqu’un qui lui échappe (l’esthète Thomas), le moralisateur tombe aussitôt dans le piège de l’indignation qui accentue la bêtise en paralysant tout recul, toute réflexion sur soi et la situation où l’on se trouve.
L’approche esthétique envisagera Dieu davantage du côté du « beau », de ce qui « plaît », de ce qu’on « goûte ». Le « bon » plutôt que le bien, le juste, le « il faut ».
Les traditions religieuses regorgent de récits, de poèmes, d’œuvres artistiques où Dieu est approché esthétiquement, symboliquement. Ce qui est recherché est la « justesse ».
Un aspect important de l’approche esthétique est que la représentation de Dieu qui en découle doit être considérée comme imagée, métaphorique, symbolique. Les représentations de Dieu qui y apparaissent ne sont pas des représentations factuelles.
L’approche éthique
Les catégories du « juste », de la « justice », permettent pourtant une approche de Dieu.
Ce qui est alors visé est Dieu comme garant de « l’ordre du monde ». Dieu pourra être envisagé comme un modèle de vie morale à imiter, ou il pourra être envisagé comme un législateur-juge chargé de maintenir ou de rétablir l’ordre.
Les traditions religieuses, par exemple, accorderont souvent une place importante la notion de « rétribution » : le mal doit être puni, le bien doit être récompensé. Dieu sera pensé comme ultime garant d’une juste rétribution. Dans cette vie ou après cette vie.
Ces traditions religieuses regarderont également Dieu comme l’auteur de la loi. Cfr le récit de Moïse recevant de Dieu la table des dix commandements : plusieurs passages bibliques en parlent (Exode, chapitre 20 ; Exode, chapitre 34 et 35, Deutéronome, chapitre 5).
L’approche réflexive, rationnelle
L’être humain est capable de s’interroger et de raisonner sur des questions métaphysiques extrêmement fondamentales – même si elles dépassent le cadre de ce que son intellect peut comprendre. Ainsi la fameuse question de Leibnitz : pourquoi existe-t-il (et continue-t-il à exister) quelque chose et non pas plutôt rien ?
Dieu sera classiquement posé comme le créateur de ce qui existe (créateur « continu » puisqu’il maintient dans l’existence ce qui existe). La raison, la réflexion, s’interdira alors de faire de Dieu un être parmi les êtres, s’interdira de le caractériser comme on caractérise les êtres qui nous entourent. On voit ainsi la rationalité de l’un des dix commandements, transmis dans la tradition judaïque et chrétienne : celui qui interdit de faire quelque image de Dieu. Un autre aspect de l’approche rationnelle de la question de Dieu : les théologiens considéreront qu’il faut se refuser à affirmer des choses irrationnelles, déraisonnables, à propos de Dieu.
Toutefois certaines questions résistent à l’approche éthiquo-rationnelle. Par exemple la question de l’existence du mal… Comment concilier rationnellement l’affirmation de Dieu comme créateur bon avec l’existence du mal ?
Des philosophes et théologiens ont toujours une « raison » au mal :
- Le mal permettrait d’apprécier le bien…
- Dieu ne pourrait créer un monde parfait : sinon il serait divin, or Dieu seul est divin…
- Le bien pourrait sortir du mal…
Mais pareils raisonnements ne tiennent pas devant le caractère extrême, insensé, absolument scandaleux, que peut revêtir le mal.
Les approches esthétiques, éthiques ou rationnelles ne peuvent que s’avouer impuissantes face à cette redoutable question.
L’approche contemplative dans la foi et la prière
Une autre voie est la prière contemplative. Plutôt que de réfléchir, le croyant, la croyante, cherchera à contempler Dieu pour « voir » ce que sa foi et la foi des croyants (foi collective reçue à travers diverses traditions religieuses) lui « disent » de Dieu.
Une médiation sera nécessaire : le texte d’un croyant, un épisode de la vie d’un saint ou d’une sainte, une prière traditionnelle (le Notre Père, par exemple), un passage des Écritures, de la Bible.
La contemplation dont il est ici question n’est évidemment pas une contemplation extérieure : la croyante, le croyant ne contemple pas Dieu comme il contemple un paysage : c’est une contemplation intérieure.
Si l’intellect est mobilisé dans une telle prière, d’autres zones intérieures y participent :
- l’imagination: le croyant, la croyante, se crée ou voit se créer une image visuelle intérieure de ce qu’il contemple (y compris en activant, par l’imagination, d’autres sensations que les sensations visuelles : le goût, l’ouïe, le toucher, l’odorat) ;
- l’affectivité: les sentiments, les émotions, le désir, le goût intérieur ;
- la volonté.
Au-delà de ces zones intérieures « naturelles », les mystiques en signalent une plus intime et profonde encore. Ils la nomment avec diverses expressions : « l’esprit »,le « cœur profond », la « volonté profonde », « la fine pointe de l’âme ». Pour eux c’est à ce niveau de profondeur intérieure ultime que nous sommes vraiment nous-mêmes et que se loge la présence de Dieu (« plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes », écrit saint Augustin au 5e siècle).
« Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo
Mais, toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même.»
(Saint Augustin, Confessions III, 6, 11)
Parmi les nombreuses « manières contemplatives de prier » qui ont été développées dans la tradition chrétienne, celle de saint Ignace de Loyola, dans ses Exercices Spirituels, mérite d’être soulignée. Elle est synthétisée ici, par exemple.
Approche contemplative : Dieu et le mal
Aborder la question du mal (et de la relation de Dieu au mal) dans une démarche contemplative, à partir des textes bibliques, peut permettre au croyant, à la croyante, de sortir des impasses de l’approche rationnelle en donnant à contempler un Dieu différent.
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- Le récit de la création (Genèse, chapitre 1) nous présente Dieu comme créateur d’un monde essentiellement bon (et même très bon, une fois que l’être humain y est créé), mais aussi l’image d’un Dieu qui se retire du Monde, qui accepte de ne pas l’influencer (repos du septième jour).
- Le chapitre 3 de la Genèse y montre Dieu absent quand l’être humain cède au mal, puis Dieu qui ne voit pas l’être humain quand il s’est caché (Dieu cherche et appelle l’être humain)
- Au chapitre 4 de la Genèse, Dieu n’empêche pas le meurtre d’Abel par Caïn, mais il responsabilise Caïn quand il le voit tenté. Et quand Caïn est devenu meurtrier, il interdit toute vengeance à son endroit.
- Dans les Évangiles, Jésus combat le mal, ne transige pas avec lui (sa sainteté, c’est cela : l’intransigeance face au mal), mais est écrasé par lui quand il est crucifié. La foi des chrétiens reconnaît Jésus comme Dieu qui a assumé, dans l’histoire, la nature humaine. Elle voit Dieu (comme l’être humain) comme victime du mal – même s’il en triomphe dans la Résurrection.
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