Dieu n’est pas un dieu : comparaison entre la Théogonie d’Hésiode et les premiers chapitres de la Bible (en cours de rédaction)

La Théogonie d’Hésiode : une bonne synthèseLe texte

Une traduction judaïque de la Bible : la Bible du Rabbinat

La traduction liturgique catholique francophone de la Bible

Le récit d’Hésiode

Au commencement exista le Chaos, puis la Terre à la large poitrine, demeure toujours sûre de tous les Immortels qui habitent le faite de l’Olympe neigeux ; ensuite le sombre Tartare, placé sous les abîmes de la Terre immense ; enfin l’Amour, le plus beau des dieux, l’Amour, qui amollit les âmes, et, s’emparant du coeur de toutes les divinités et de tous les hommes, triomphe de leur sage volonté. Du Chaos sortirent l’Érèbe et la Nuit obscure (19). L’Éther et le Jour (20) naquirent de la Nuit, qui les conçut en s’unissant d’amour avec l’Érèbe. La Terre enfanta d’abord Uranus couronné d’étoiles et le rendit son égal en grandeur afin qu’il la couvrît tout entière et qu’elle offrît aux bienheureux Immortels une demeure toujours tranquille ; elle créa les hautes montagnes, les gracieuses retraites des Nymphes divines qui habitent les monts aux gorges profondes. Bientôt, sans goûter les charmes du plaisir, elle engendra Pontus, la stérile mer aux flots bouillonnants ; puis, s’unissant avec Uranus, elle fit naître l’Océan aux gouffres immenses, Céus (21), Créus, Hypérion, Japet, Théa, Thémis, Rhéa, Mnémosyne, Phébè à la couronne d’or et l’aimable Téthys. Le dernier et le plus terrible de ses enfants, l’astucieux Saturne, devint l’ennemi du florissant auteur de ses jours. La Terre enfanta aussi les Cyclopes (22) au coeur superbe, Brontès, Stéropés et l’intrépide Argès, qui remirent son tonnerre à Jupiter et lui forgèrent sa foudre : tous les trois ressemblaient aux autres dieux, seulement ils n’avaient qu’un oeil au milieu du front et reçurent le surnom de Cyclopes, parce que cet oeil présentait une forme circulaire. Dans tous les travaux éclataient leur force et leur puissance.

La Terre et Uranus eurent encore trois fils grands et vigoureux (23), funestes à nommer, Cottus, Briarée et Gygès, race orgueilleuse et terrible ! Cent bras invincibles s’élançaient de leurs épaules et cinquante têtes attachées à leurs dos s’allongeaient au-dessus de leurs membres robustes. Leur force était immense, infatigable, proportionnée à leur haute stature. Ces enfants, les plus redoutables de tous ceux qu’engendrèrent la Terre et Uranus, devinrent dès le commencement odieux à leur père. À mesure qu’ils naissaient, loin de leur laisser la lumière du jour, Uranus les cachait dans les flancs de la Terre et se réjouissait de cette action dénaturée. La Terre immense gémissait, profondément attristée, lorsque enfin elle médita une cruelle et perfide vengeance. Dès qu’elle eut tiré de son sein l’acier éclatant de blancheur, elle fabriqua une grande faux, révéla son projet à ses enfants et, pour les encourager, leur dit, consumée de douleur :

« Mes fils ! si vous voulez m’obéir, nous vengerons l’outrage que vous fait subir votre coupable père : car il est le premier auteur d’une action indigne. »

Le premier chapitre de la Bible (traduction liturgique francophone)

AU COMMENCEMENT, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour.

Et Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux. » Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus. Et ce fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour. Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. » Et ce fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit : « Que la terre produise l’herbe, la plante qui porte sa semence, et que, sur la terre, l’arbre à fruit donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. » Et ce fut ainsi. La terre produisit l’herbe, la plante qui porte sa semence, selon son espèce, et l’arbre qui donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. Et Dieu vit que cela était bonIl y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour.

Et Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit ; qu’ils servent de signes pour marquer les fêtes, les jours et les années ; et qu’ils soient, au firmament du ciel, des luminaires pour éclairer la terre. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit ; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre, pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.

Et Dieu dit : « Que les eaux foisonnent d’une profusion d’êtres vivants, et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel. » Dieu créa, selon leur espèce, les grands monstres marins, tous les êtres vivants qui vont et viennent et foisonnent dans les eaux, et aussi, selon leur espèce, tous les oiseaux qui volent. Et Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit par ces paroles : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez les mers, que les oiseaux se multiplient sur la terre. » Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.

Et Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce. » Et ce fut ainsi.  Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon.  Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »  Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »  Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture. À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.

Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et tout leur déploiement. Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite.

Points d’attention

  1. Contrairement aux mythologies babyloniennes, dans le récit biblique, Dieu d’appartient pas à la catégorie des dieux qui finissent par émerger du chaos. Il surplombe le chaos : les philosophes utilisent le concept de « transcendance » pour exprimer le fait que Dieu n’appartient pas à l’ordre de réalité auquel appartiennent le chaos et les dieux qui en émergent.
  2. Le verbe « créa »  traduit le mot « bara ». Le choix du passé simple désigne une action achevée dans le passé, mais l’hébreu ancien ne connaît pas de temps du passé (voir cette page). Il exprime que l’action est soit accomplie soit inaccomplie. L’action de « créer » est ici présentée comme accomplie : autant dans le passé, le présent que le futur.
  3. « Bara » signifie « créer », mais aussi « séparer », « fonder » (voir cette page). C’est bien une action d’ordonnancement, de séparation, qui va être d’abord narrée dans le récit :    Dieu « déchaotise », pour employer un néologisme.
  4. Une fois le chaos déchaotisé, la vie peut apparaître (sinon c’est invivable). La journée hébraïque débute par le soir et s’achève par le matin : Paul Claudel, grand poète et dramaturge français qui a écrit des milliers de pages de commentaires bibliques, interpète cette particularité comme exprimant la domination de la lumière sur les ténèbres grâce à l’action créatrice de Dieu, la domination de l’ordre vivable sur le chaos invivable. Quelle que soit la nuit que l’être humain traverse, elle s’achèvera sur un matin créé par Dieu.
  5. Si l’être humain est créé comme maître des animaux, cela ne peut avoir le sens d’une autorisation à les détruire puisqu’au verset 22 Dieu bénit les animaux en leur promettant fécondité et multiplication sur toute la terre. Rachi, un rabbin du moyen-âge ayant vécu à Troyes en Champagne, interprète ainsi la bénédiction données aux animaux du ciel et des mers, mais pas à ceux de la terre : « Eloqim les bénit Etant donné qu’on les élimine, qu’on les capture et qu’on les mange, ils avaient besoin d’une bénédiction (Beréchith raba 11, 2). Les bêtes sauvages, elles aussi, auraient eu besoin d’une bénédiction. Il ne les a cependant pas bénies, à cause du serpent qui allait plus tard se faire maudire, afin que celui-ci n’y soit pas inclus.« 
  6. L’être humain est un vivant d’un autre ordre que les autres vivants : il est créé à l’image de Dieu, selon sa ressemblance (les premiers intellectuels chrétiens appelés « Pères de l’Eglise » comprendront souvent de la façon suivante « l’être humain est créé à l’image de Dieu en vue de lui ressembler » – introduisant donc une dynamique)
  7. Le verset 29 est souvent interprété par des auteurs chrétiens de la façon suivante : la communion d’amour à laquelle sont appelés l’homme et la femme dans le mariage est à l’image de la communion trinitaire que vit Dieu, que vit la « Trinité » (Le Père, le Fils et le saint Esprit)
  8. Une interview du bibliste André Wénin au sujet des deux récits de la créations de l’être humainIdem au sujet de la création de la femmeIdem au sujet du récit de la créationIdem au sujet du serpent