- Je me rappelle plusieurs choix importants que j’ai faits dans ma vie, des choix qui se sont avérés bons, des choix qui se sont avérés mauvais, des choix dont je ne peux déjà me prononcer sur la valeur. Une dizaine de minutes de temps purement personnel. Les élèves n’auront pas à partager ce qui leur est revenu en mémoire et qui est purement personnel.
Pour aider la mémoire, il est possible d’utiliser la méthode proposée par saint Ignace de Loyola dans les Exercices Spirituels : passer en revue toute sa vie en fonction des lieux où l’on a vécu ou qui ont été importants, des personnes avec lesquelles on a vécu, des périodes de sa vie, des dimensions de sa vie (amitiés, métier, études, familles, amours, engagements, loisirs, religion…). - Par écrit, en deux ou trois colonnes, classer les méthodes selon qu’elles apparaissent bonnes, mauvaises ou mitigées. Veiller à expliquer un minimum pour que le lecteur comprenne.
- Il y a-t-il un aspect « spirituel », « religieux », dans l’une ou l’autre de ces prises de décision, de ces choix ? Si oui, lequel ? Expliquer.
- Mise en commun en sous-groupe.
- Réflexion personnelle éventuelle supplémentaire après le temps de sous-groupe.
Plusieurs méthodes sont proposées. Elles ne sont pas classées de la même manière par tous les élèves.
Généralement dans les bonnes méthodes :
- S’écouter soi-même
- Se poser la question : aime-t-on vraiment ce dans quoi on va se lancer ?
- Relever et peser les points négatifs et positifs
- Voir ce qui est le plus raisonnable
- Ne pas écouter que son cœur, ne pas écouter que sa tête
- Être sûr de soi
- Prendre le temps
- Être prêt à patienter
- Prier, demander à Dieu
- Jeûner
- Penser à mes valeurs
- Aide de personnes fiables
- Lorsque les décisions sont prises avec le cœur et l’esprit (que c’est réfléchi)
- Demander conseil aux amis
- C’est bon si le choix a provoqué un changement moral ou qui pourrait aider dans le futur
- Si c’est un choix de groupe, être unanime
- Se faire confiance
- Choix fait avec assurance
- Croire en soi
- Voir s’il y a une amélioration par rapport au passé
- Voir si le choix peut nous épanouir
- Voir si l’on supportera ce choix sur le temps défini
- Faire le choix qui me rendra heureux / heureuse
- Parler avec une personne plus âgée, plus expérimentée
- Se documenter, faire des recherches
- Demander de l’aide
- Par habitude (si elles sont bonnes)
Généralement dans les mauvaises méthodes :
- Par habitude (si elles sont mauvaises)
- Sur le coup de la tristesse, de la déception, de la colère, de la haine
- Peur
- Fatigue
- Ne pas se faire confiance
- Laisser les émotions prendre le dessus
- Quand on prend trop sur soi
- Ma chair
- Choisir, car quelqu’un qui est proche l’a choisi
- Laisser les autres choisir à notre place
- Ne pas réfléchir ou trop réfléchir
- Aller trop vite dans ses choix
- Faire trop confiance
- S’éloigner de Dieu
- Pour plaire aux autres, penser au regard des autres
- Pour faire comme tout le monde
- Aller contre l’avis des gens
- Par obligation
- Être pété ou saoul
- Choisir en étant immature
- Flemme, paresse
- La phrase : « Au point où on en est… »
- Ne pas oser
- Choisir quand on hésite
Méthodes discutées :
- Désir
- Chair
- Demander aux autres
- Famille
- Instinct
- Penser au futur
- Par gentillesse
- L’avis des autres
- Les conseils
- L’émotion
- Feeling
- Méthodes religieuses
- La « plote »
- Les horoscopes
- Choisir en fonction de ce qui est dit comme « bien » ou « mal » dans notre société
- Se demander ce qui se serait passé si on avait choisi autrement
- Il faut parfois tenter même si on peut se tromper
- N’écouter que soi
- Prise de risque
- Ne penser qu’à soi
- Faire appel aux parents (parfois ils sont de bon conseil, mais pas toujours)
Un aspect religieux ? spirituel ?
- Mes choix dépendent des valeurs que je me suis imposées
- Mes choix ne sont pas faits à l’encontre de ma religion
- Je me réfère à ce que mes parents m’ont appris
- Prendre en compte les attentes que j’ai
Clarifications et perspectives
La « chair » (par opposition à « l’esprit »):
Expression que l’on trouve et dans les lettres de saint Paul, dans l’Évangile selon saint Jean et dans les lettres de saint Jean.
Par exemple :
Au chapitre 3 de l’Évangile selon saint Jean, jésus répond à Nicodème :« Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut. »
Au chapitre 8 de l’Épître aux Romains de saint Paul : « En effet, ceux qui se conforment à la chair tendent vers ce qui est charnel ; ceux qui se conforment à l’Esprit tendent vers ce qui est spirituel ; et la chair tend vers la mort, mais l’Esprit tend vers la vie et la paix. Car la tendance de la chair est ennemie de Dieu, elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, elle n’en est même pas capable. Ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. (…) Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! »
La « chair », ici, n’a pas de sens « sexuel », ni même ne renvoie uniquement au seul « corps ». Le christianisme, pas plus que le judaïsme, n’est dualiste : il n’oppose pas le corps et l’âme, l’un étant mauvais et l’autre bon, l’un étant transitoire et l’autre immortel (l’âme, bonne, devant se détacher du corps qui serait mauvais). Chrétiens et juifs sont monistes (monos : unifié) : l’être humain est créé corps et âme par Dieu et Dieu ne peut avoir créé du mauvais.
L’esprit, est le « souffle » (en hébreu « ruah ») qui habite Dieu et que Celui-ci insuffle en l’être humain pour le dynamiser, lui permettre de réaliser l’image et a ressemblance de Dieu qui le caractérise.
La « chair » est la part de lourdeur et de faiblesse que le péché, l’éloignement de Dieu, a produit en l’être humain, tant dans son âme que dans son corps.
Une tradition spirituelle bien connue a essayé de classer cette pente de la chair qui empêche la pleine réalisation de ce pour quoi l’être humain est créé : les sept péchés capitaux (ou passions capitales). Non pas « capitaux » au sens où ils seraient plus graves que d’autres, mais « capitaux » au sens où ils entraînent la suite, sont à la base des péchés plus graves (en latin, « caput » signifie la tête).
Saint Thomas d’Aquin les définit ainsi :
- L’orgueil (superbia en latin) : attribution à ses propres mérites de qualités ou de comportements qui sont des dons de Dieu (intelligence, vertus, etc.).
- L’avarice (avaritia en latin) : au sens dominant de cupidité, soit accumulation des richesses recherchées pour elles-mêmes.
- La luxure (luxuria en latin) : plaisir sexuel recherché pour lui-même.
- L’envie (invidia en latin) : la tristesse ressentie face à la possession par autrui d’un bien, et la volonté de se l’approprier par tout moyen et à tout prix (à ne pas confondre avec la jalousie).
- La gourmandise (gula en latin) : ce n’est pas tant la gourmandise au sens moderne, peu ou pas du tout péjoratif, qui est blâmée que la gloutonnerie, cette dernière impliquant davantage l’idée de démesure et d’aveuglement que le mot gourmandise. On constate du reste que dans d’autres langues ce péché est désigné par un mot signifiant plutôt gloutonnerie que gourmandise (gluttony en anglais, Völlerei en allemand par exemple).
- La colère (ira en latin) : produit des excès en paroles ou en actes : insultes, violences, meurtre.
- La paresse, anciennement l’acédie (acedia en latin). Le Catéchisme de l’Église catholique définit l’acédie, terme disparu du langage courant, comme « une forme de dépression due au relâchement de l’ascèse ». Il s’agit en effet de paresse morale. L’acédie, c’est un mal de l’âme qui s’exprime par l’ennui, l’éloignement de la prière, de la pénitence et de la lecture spirituelle.
Se laisser influencer par la « chair » quand on choisit ne peut mener à un choix vraiment épanouissant. Il faut au contraire se laisser porter par « l’esprit » qui souffle en nous.
Le conatus du philosophe Spinoza (1632-1637)
Un élève propose la bonne méthode suivante : « voir si le choix peut nous épanouir. »
C’est fort proche d’un aspect essentiel de la philosophie de Baruch Spinoza. Pour lui, l’être humain est marqué par un « conatus », littéralement un « effort » pour persévérer dans ce qu’il est et même augmenter ce qu’il est, se déployer, réaliser ses potentialités (sa « puissance »). L’être humain est une dynamique.
Il est intéressant de remarquer que , chez Spinoza comme chez saint Ignace de Loyola (1491-1566), la joie est le signe qui accompagne le fait que l’être humain est influencé positivement par ce « conatus » qui l’amène à exister davantage. Spinoza invite à refuser les « passions tristes » (rancoeur, tristesse, jalousie, désespoir, dégoût, peur, colère, remords, obsession, haine, regret…) parce qu’elles n’augmentent pas notre puissance d’agir.
« La connaissance du bon et du mauvais n’est rien d’autre qu’un sentiment de joie ou de tristesse, en tant que nous en sommes conscients » (Spinoza, L’Éthique).
« La Joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. » (Idem)
« Nous venons de voir que l’esprit peut subir de grands changements, et passer tantôt à une perfection plus grande, mais tantôt à une moindre ; et ces passions nous expliquent les sentiments de la Joie et de la Tristesse. Par Joie j’entendrai donc dans la suite la passion par laquelle l’esprit passe à une perfection plus grande ; par Tristesse, au contraire, la passion par laquelle il passe à une perfection moindre. » (Idem)
« Passion » vient du latin « pati » (du grec « pathein ») = subir, souffrir (cfr « patience »). La « passion » s’oppose à « l’action » : la passion, c’est ce qu’on ne maîtrise pas à l’intérieur de soi, ce que l’on subit intérieurement , en positif comme en négatif : émotions et sentiments (colère, le désir, la joie, la tristesse, l’amour, la frustration, le dégoût, le goût…).
Bonnes et mauvaises habitudes
Intéressant : un élève montre l’ambivalence des habitudes. Si elles sont bonnes, elles peuvent plutôt mener à un bon choix, mais si elles sont mauvaises, elles mèneront à un mauvais choix.
Mais comment savoir intérieurement si une habitude est bonne ou mauvaise ? Nous pouvons évidemment nous fier au jugement d’autrui (ce que disent nos amis, nos parents, nos professeurs, notre conjoint,…), mais ils peuvent se tromper…
Ignace de Loyola, dans les Exercices Spirituels, décrit ainsi l’action intérieure du bon et du mauvais esprit quand il s’agit de continuer dans nos bonnes habitudes (= vertus) ou de rompre avec nos mauvaises habitudes (= vices) :
Première règle, N° 314
A l’égard des personnes qui vont de péché mortel en péché mortel, la conduite ordinaire de l’ennemi est de leur proposer des plaisirs apparents, leur occupant l’imagination de jouissances et de voluptés sensuelles, afin de les retenir et de les plonger plus avant dans leurs vices et dans leurs péchés. Le Bon Esprit, au contraire, agit en elles d’une manière opposée, il excite dans leur conscience le trouble et le remords, en leur faisant sentir les reproches de la raison.
Deuxième règle, N° 315
Dans les personnes qui travaillent courageusement à se purifier de leurs péchés et vont de bien en mieux dans le service de Dieu, Notre-Seigneur, le Bon et mauvais esprit opèrent en sens inverse de la règle précédente. Car c’est le propre du mauvais esprit de leur causer de la tristesse et des tourments de conscience, d’élever devant elles des obstacles, de les troubler par des raisonnements faux, afin d’arrêter leurs progrès dans le chemin de la vertu, au contraire, c’est le propre du Bon Esprit de leur donner du courage et des forces, de les consoler, de leur faire répandre des larmes, de leur envoyer de bonnes inspirations et de les établir dans le calme ; leur facilitant la voie et levant devant elles tous les obstacles, afin qu’elles avancent de plus en plus dans le bien.
Importance de la confirmation
Un bon choix nécessitera une confirmation après qu’il a été posé. C’est ce que signale, par exemple, un élève quand il écrit : « voir s’il y a une amélioration par rapport au passé. » Ou un autre : « C’est bon si le choix a provoqué un changement moral ou qui pourrait aider dans le futur. »
Le temps de la confirmation du choix est important. Soyons attentif à tout ce qui, après avoir fait un choix, le confortera. Cela aidera à y rester fidèle et patient quand les choses seront plus difficiles (ce qui est inévitable).
Les bonnes méthodes selon saint Ignace de Loyola en quelques traits
- Choisir soi-même, ne pas se laisser dicter ses choix
- Se rendre disponible au divers choix possible (se libérer de ses addictions, ses « esclavages » : le bien-être, le souci de son image, etc.)
- Réfléchir, mais pas seulement (peser le pour et le contre, se projeter dans le futur, faire des recherches, s’adresser à des gens compétents…)
- Choisir au final au niveau du coeur dont les deux signes sont la joie et la paix intérieure : « j’appelle consolation toute augmentation d’espérance, de foi et de charité, et toute joie intérieure qui appelle et attire l’âme aux choses célestes et au soin de son salut, la tranquillisant et la pacifiant dans son Créateur et Seigneur (…) Il importe, au temps de la désolation, de ne faire aucun changement, mais de demeurer ferme et constant dans ses résolutions et dans la détermination où l’on était avant la désolation, ou au temps même de la consolation. Car, comme ordinairement le Bon Esprit qui nous guide et nous conseille dans la consolation ; ainsi dans la désolation est-ce le mauvais esprit, sous l’inspiration duquel nous ne pouvons prendre un chemin qui nous conduise à une bonne fin. »
- Attention aux « fausses joies ». Si notre « joie » est un peu trouble, s’il y a quelque chose de pas net, une excitation plus qu’une joie tranquille, c’est souvent un mauvais signe (cfr Le Doudou Méchant).
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