Les spiritualités orientales d’inspiration bouddhiste (Pleine Conscience, par exemple) sont aujourd’hui très à la mode, y compris chez les chrétiens, mais existent aussi de remarquables traditions spirituelles au sein du christianisme. Encore vivantes. Toujours proposées près de chez nous dans des formules accessibles.
Les Exercices Spirituels sont une pratique spirituelle (on ne les lit pas, on les fait) qui peut donner un fruit profond dans l’évolution personnelle tout en demandant, un engagement relativement important (mais coexistent aujourd’hui, à côté de la formule classique des « Trente jours », des modules bien plus courts que les quatre semaines consécutives à temps plein qu’Ignace avait prévues). Elle est toujours proposée de façon vivante dans le monde catholique : dans des centres spirituels jésuites[1], mais de plus en plus animés par des laïques et religieuses de diverses congrégations qui pratiquent cette spiritualité et y ont acquis une forme d’expertise.
L’expérience pratique des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola invite à éclairer un aspect paradoxal de l’expérience spirituelle proposée : « intégratif » et de « rupture ».
Ignace invite à regarder sa vie sous le signe du « davantage » (du « magis »)[2]. Nous vivons, nous construisons quelque chose, plus ou moins consciemment, nous aimons ou non ce que nous sommes et faisons, nous évoluons, nous ajustons, errons parfois.
Soit… n’avons-nous pas souvent alors l’impression de tourner plus en rond qu’autre chose ?
Mais, écrit Ignace, nous ne sommes pas le principe de notre être, nous le recevons, nous sommes des libertés « créées » par Dieu « pour Sa Gloire » (c’est un catholique et les Exercices Spirituels sont adressés à des libertés chrétiennes qui veulent être davantage ce pour quoi elles sont créées : servir Dieu, l’humain, la création).
Pour ce faire, dit-il, il est bon de « relire »[3] sa vie (notamment au travers la contemplation des Évangiles) pour
- en repérer les désordres, les voies de garage, les impostures, les manques de liberté, les impasses, etc.
- s’en libérer (en tout cas y trouver une forme de liberté), et surtout y identifier le fil rouge dynamique positif, par-delà le reste (le bon grain sous l’ivraie)
- y découvrir notre désir profond, la dynamique profonde de notre vie d’humain en contemplant la totalité de l’Évangile (environ quatre heures par jour pendant un mois dans un centre spirituel – ou, dans la vie courante, 1h par jour pendant une petite année, ou par petits modules de quelques jours). Il s’agit d’une contemplation qui recrée dans la conscience et l’imagination la scène racontée : le retraitant compose imaginativement par les sens (voir, toucher, sentir, écouter, goûter) la scène contemplée, s’y projette et accueille ce qu’il y ressent, y réfléchit, y goûte (ici au sens affectif) – avec une attention privilégiée sur le positif qui se dégage puisque ce qui est recherché c’est une dynamique positive, joyeuse, énergisante – comme chez le philosophe Spinoza qui est fort proche d’Ignace sur ce point)
- choisir (faire élection) comment orienter dorénavant sa vie en fonction de la créature dynamique et libre que nous sommes et que Dieu a créée et continue de créer. Pour ce faire l’attention aux mouvements intérieurs est primordiale. Le retraitant est invité à suivre ses mouvements intérieurs dilatants : joie et paix intérieure (tristesse et agitation viennent le plus souvent du mauvais – excepté bien entendu quand le « bon ange » par le moyen de la raison et d’un regret qui se tournera en joie nous invite à quitter tel chemin destructeur). Joie : à nouveau Ignace de Loyola et Spinoza sont proches.
Cette dernière étape (inséparable des trois autres) est nécessairement un renouvellement : soit que celui où elle qui a fait les Exercices réoriente vraiment sa vie dans un sens nouveau (se marie, entre dans la vie religieuse, change de métier, renonce à quelque chose qu’il faisait, ajoute un engagement ou que sais-je : parfois ce peut être une petite nouveauté, parfois c’est très radical), soit qu’il ou elle continue sa vie, avec ses engagements, mais peu ou prou autrement, en lui donnant un sens nouveau ou plus approfondi.
Même si c’est « petit », l’exercitant ou l’exercitante vit davantage. Il est possible de faire grandement les petites choses, comme il est possible de faire petitement les grandes choses (ça préserve de la complaisance vaniteuse).
Nous sommes bien et dans un « esprit d’invention » et dans un esprit d’intégration de tout ce qu’on est et a été dans une forme renouvelée.
Un extrait significatif : le Principe et Fondement qui ouvre la démarche
« L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.
D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin
Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. » (Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, 23)
Un point central : les règles de discernement
Les règles de discernement des esprits exposée dans les Exercices Spirituels
Un article approfondi sur les règles de discernement selon saint Ignace de Loyola
Cfr aussi la note suivante du cours : http://www.dallenogare.biz/cours/reperes-pour-discerner-et-choisir/
[1] Plusieurs centres spirituels « ignatiens » existent dans la province Jésuite francophone qui réunit depuis quelques années jésuites francophones de Belgique, de France et du Luxembourg (mais aussi de Grèce, de l’Île Maurice et de La Réunion). Ici en Belgique, c’est le Centre Spirituel La Pairelle à Wepion : https://csilapairelle.be/ – Le centre spirituel ignatien de Manrèse, à côté de Paris, donne une liste des autres : https://www.manrese.com/autres-centres-spirituels-jesuites
[2] Ce « davantage », ce « magis » qui est au centre de la spiritualité ignatienne se retrouve dans la fameuse devise des Jesuites : AMDG, Ad maiorem Dei Gloria. Pour une plus grande gloire de Dieu (traduction plus correcte que la traditionnelle Pour la plus grande Gloire de Dieu).
[3] Relire sa vie : c’est le sens premier du mot « religion » (re-legere : re-cueillir le fruit… relire pour saisir le meilleur fruit du texte). Pour un catholique : une vie que Dieu donne à écrire et inspire.